Texte Nicolas BERNARD
Dessins Chloé MÉNAGER
Image de garde : calligraphie de Pascal Krieger, IRIMI 入り身
Au cœur du sujet
Un japonais comprendra souvent instinctivement ce que signifient [les termes de l’aïkidō] car ils sont associés à des kanji qui ont un champ d’expression à la fois vaste et subtil.
Tamura Nobuyoshi
Extrait d’une interview accordée à Tsubaki Journal en Septembre 2007
La terminologie elle-même donne quelque chose de mystique, elle donne une impression spéciale aux autres gens, même lorsqu’il s’agit juste du nom d’une technique.
La façon dont l’aïkido nomme les techniques, comme ikkyō, nikyō, etc., est en fait un système de numérotation. Dans beaucoup d’autres arts martiaux comme le Daitō-ryu Aiki-jujutsu, chaque technique a un nom « extrême ». L’idée est d’impressionner les « gens de l’extérieur ».
Sugano Seiichi
Extrait d’une interview accordée à David Halprin, Aikido Online Décembre 2000
L’étude de l’aïkidō passe par l’assimilation d’une terminologie japonaise qui peut sembler complexe, voire indigeste.
Ces quelques pages entendent présenter quelques-uns de ces termes de façon à en faciliter l’apprentissage. Ce faisant, elles apportent parfois quelques précisions sur les kanji (漢字 : sinogrammes utilisés au Japon, comme l’un des trois systèmes d’écriture) qui servent à les transcrire, de façon à donner une mesure de ce « champ d’expression vaste et subtil » évoqué par Maître Tamura, tout en en démystifiant un certain nombre, selon le commentaire de Maître Sugano.
En aïkidō, la désignation des techniques consiste généralement en une description méthodique, comportant globalement les quatre éléments d’information suivants :
- les postures et positions initiales des partenaires
- les attaques portées et leur localisation
- les techniques appliquées en réponse
- la variante : omote ou ura
Postures et positions
Les partenaires (AÏTE 相手) sont la plupart du temps au nombre de deux, et souvent désignés par les termes suivants :
- UKE 受け
Substantif du verbe ukeru 受ける : « recevoir », « admettre », « accepter », « subir ».
Uke est l’attaquant, celui qui se voit appliquer la technique.
- TORI 取り
Du verbe toru 取る : « saisir », « accepter », « obtenir », « exiger », « prendre », « choisir ».
Étymologiquement, 取るsignifie saisir de la main [droite] 又l’anse 耳d’un pot. C’est-à-dire prendre le contrôle d’un tout par une de ces parties. Tori est le défenseur, celui qui applique la technique.
À remarquer : la notion d’acceptation, partagée par les deux termes, inscrite ici dans un rapport mutuel (sō/ai 相).
Dicté par le mode de vie traditionnel japonais, le travail des techniques est mené selon quatre hypothèses :
- SUWARI WAZA 座り技
Ensemble de techniques (waza 技, « technique [manuelle] », « truc ») assises (de suwaru 座る, « s’asseoir ») : les partenaires sont tous deux au sol, assis à la japonaise (en SEIZA 正座, orteils posés au sol, ou en kiza 跪坐, orteils « accrochés »).
- HANMI HANTACHI WAZA 半身半立ち技
Uke, debout en hanmi 半身 (voir plus loin), attaque Tori en seiza, sans lui laisser le temps de se relever complétement (position hantachi 半立ち « à demi debout », « posture intermédiaire »).
- TACHI WAZA 立ち技
Uke et Tori se font face debout (tachi, du verbe tatsu 立つ, « se tenir debout ») ; Uke porte l’attaque par devant.
- USHIRO WAZA 後ろ技
L’attaque est portée sur l’arrière (ushiro 後ろ) de Tori, soit volontairement, soit parce que Tori aura rendu l’attaque frontale impossible.
Saisies et frappes
Les frappes et saisies communément travaillées en aïkidō correspondent à des formes classiques d’attaques, liées notamment au costume et aux armes traditionnels japonais.
Cinq types d’attaques essentiellement : TORI, UCHI, TSUKI, SHIME et, dans une moindre mesure, KERI :
- TORI (DORI) 取り
Tori est une saisie de la main.
Substantif du verbe toru 取る, signifiant « saisir », mais aussi « accepter », « obtenir », « exiger », « prendre », « choisir »…
Idéogramme composé de l’oreille (mimi 耳) et de la main [droite] (yū 又).
- UCHI 打ち
Uchi est coup frappé avec le tranchant de la main, tegatana/shutō 手刀 (la « main-sabre »). Le kanji entre aussi dans la composition de monouchi 物打ち, terme désignant sur un sabre la partie de la lame portant les coups, située à 3 sun 寸 (env. 10 cm) de la pointe (kissaki 切っ先).
- TSUKI 突き
Coup porté du poing ou par tout autre moyen (sabre, bâton…), de façon soudaine. Voir l’étymologie du caractère (idéogramme) : un chien 犬 jaillissant hors d’une caverne 穴.
Il existe un JŌDAN TSUKI 上段突き, « tsuki au niveau supérieur » (au visage en général), et un CHŪDAN TSUKI 中段突き, « tsuki au niveau moyen » (au ventre) : référence à une perception à trois niveaux du monde – et donc du corps – héritée de la pensée chinoise antique (voir en kenjutsu les gardes jōdan no kamae 上段の構え, chūdan no kamae 中段の構え et gedan no kamae 下段の構え).
- SHIME (JIME) 絞め
Substantif du verbe shimeru 絞める, « serrer (avec un lien) », « nouer (une cravate », « étrangler ».
Le même kanji prononcé shibori 絞り désigne en kenjutsu l’action de resserrer les mains sur la garde du katana pour contrôler la coupe. Dans la vie courante, c’est aussi le diaphragme d’un appareil photo.
- KERI (GERI) 蹴り
Frappe du pied.
Substantif du verbe keru 蹴る : « frapper du pied », « piétiner ».
Sasaki Masando rapporte qu’ayant demandé à Ueshiba Morihei l’autorisation de porter des coups de pied, celui-ci l’avait sévèrement réprimandé, s’écriant que « L’homme est de la civilisation de la main. Agir ainsi est s’avilir. » (Masando Sasaki, dans les pas d’Osensei, entretien avec Léo Tamaki, paru dans le magazine « Samouraï »).
a) Parties du corps
Frappes et saisies se caractérisent par la partie du corps ou l’élément de vêtement auxquels elles sont appliquées.
- MEN 面
« la face », au sens propre comme au figuré (celle qu’on sauve ou qu’on perd). Mais aussi « surface », « masque ».
Une prononciation possible du caractère est omote おもて, qui s’écrit toutefois différemment lorsqu’il s’agit du doublet omote/ura (表・裏).
Les frappes à la face sont SHŌMEN UCHI 正面打ち, « frappe en pleine face », ou YOKOMEN UCHI 横面打ち, « frappe au côté de la tête ».
- KUBI 首
« cou » et, par extension, d’autres articulations très mobiles :
tekubi (main 手 + cou 首) = poignet
ashikubi (pied 足 + cou 首) = cheville
Selon le contexte et la prononciation, le même kanji désignera encore la tête, le chef, une personne, voire un poème.
L’action exercée sur kubi est shime 絞め ; accomplie d’un bras et par l’arrière, elle s’accompagne normalement d’un autre élément d’attaque, tel qu’un contrôle du bras armé : c’est USHIRO KATATEDORI KUBI SHIME 後ろ片手取り首絞め.
- UDE 腕
« avant-bras », « bras », mais aussi « habileté », « talent » (cf. saiwan 才腕).
Le caractère, selon qu’il s’agit de chinois classique ou moderne, d’ancien japonais ou de japonais moderne, peut désigner le poignet (carpe), l’avant-bras (cubitus-radius) ou le bras dans son ensemble (cubitus-radius et humérus.).
- TE 手, KOTE 小手
Significations variables également selon les langues et les époques : respectivement « main », « bras », « personne » (on pense à AITE相手, qui comporte le caractère), et « extrémité de la main/du bras »腕).
Les saisies au bras sont dites AI HANMI KATATE DORI 相半身片手取り « saisie à une main d’un poignet en position symétrique », (GYAKU HANMI) KATATE DORI (逆半身)片手取り « saisie à une main d’un poignet en position spéculaire », RYŌTE DORI 両手取り « saisie à deux mains de deux poignets », MOROTE DORI 諸手取り « saisie à deux mains regroupées sur un avant-bras ».
b) Éléments vestimentaires
Immobilisations et projections
a) Immobilisations
KATAME WAZA 固め技
- IKKYŌ 一教 (UDE OSAE 腕抑え)
De ichi 一 « un », et kyō 教 « principe », « enseignement », « doctrine » : premier principe d’immobilisation.
Immobilisation par contrôle (osae 抑え, substantif du verbe osaeru 抑える « contrôler », « réprimer [ex. : la colère] ») du bras (ude 腕 – voir page précédente « éléments anatomiques »).
- NIKYŌ 二教 (KOTE MAWASHI 小手回し)
De ni ニ « deux », et kyō 教 « principe », « enseignement », « doctrine » : deuxième principe d’immobilisation.
Immobilisation par rotation (mawashi 回し, substantif du verbe mawasu 回す « tourner ») de l’extrémité du bras (kote 小手 – voir page précédente « éléments anatomiques »).
- SANKYŌ 三教 (KOTE HINERI 小手捻り)
De san 三 « trois », et kyō 教 « principe », « enseignement », « doctrine » : troisième principe d’immobilisation.
Immobilisation par torsion (hineri 捻り, substantif du verbe hineru 捻る »tordre », « tortiller », « serrer », « pincer ») de l’extrémité du bras (kote 小手).
- YONKYŌ 四教 (TEKUBI OSAE 手首抑え)
De yon 四 « quatre », et kyō 教 « principe », « enseignement », « doctrine » : quatrième principe d’immobilisation.
Immobilisation par contrôle (osae 抑え) du poignet (tekubi 手首).
- GOKYŌ 五教 (UDE NOBASHI 腕伸ばし)
De go 五 « cinq », et kyō 教 « principe », « enseignement », « doctrine » : cinquième principe d’immobilisation.
Immobilisation par extension (nobashi 伸ばし, substantif du verbe nobasu 伸ばす « allonger », « rallonger », « faire pousser [ex. : une barbe] ») du bras (ude 腕).
- KOTE GAESHI (小手返し)
Kote gaeshi, technique à la frontière entre immobilisation ou projection (NAGE KATAME WAZA 投げ固め技) se situant au plan lexical dans la suite logique des cinq techniques d’immobilisation. Kote gaeshi : retournement (kaeshi 返し, substantif du verbe kaesu 返す « renvoyer », « retourner », « revenir sur ses pas », « échanger ») de l’extrémité du bras (kote 小手), ou renvoi du mouvement par une action sur une extrémité.
b) Projections
NAGE WAZA 投げ技
- SHIHŌ NAGE (四方投げ)
Projection (nage 投げ, substantif du verbe 投げる « jeter », « lancer ») en toutes directions (shihō 四方 : littéralement « aux quatre vents »).
- IRIMI NAGE (入り身投げ)
Projection par « entrée (iri 入り) dans le corps (mi 身) », c’est-à-dire par prise de contrôle du centre du partenaire.
Irimi étant une notion centrale de l’aïkidō, on dénombre une certaine variété de projection de ce type (voir kokyū nage).
- TENCHI NAGE (天地投げ)
Projection « Ciel (ten 天)-Terre (chi 地) ». Référence explicite à la Grande Triade taoïste « Ciel-Homme-Terre », fréquemment utilisée dans les arts martiaux pour indiquer les niveaux supérieur, moyen et inférieur (en kenjutsu, les gardes jōdan, chūdan et gedan sont aussi respectivement appelées « garde du Ciel » (ten no kamae 天の構え), « garde de l’Homme » (hito no kamae 人の構え) et « garde de la Terre » (chi no kamae 地の構え).
- (UCHI / SOTO) KAITEN NAGE (内/ 外回転上げ)
Projection par rotation [du bras] (kaiten 回転). Existe en variantes intérieure (uchi 内 : tori passe entre le bras et le buste de uke) et extérieure (soto 外 : tori reste à l’extérieur du bras de uke).
- UDE KIME NAGE (腕決め投げ)
On connaît désormais ude 腕, le bras. On connaît aussi nage 投げ.
Donner une traduction satisfaisante de kime 決め, dans le cas présent, pose par contre problème : substantif de kimeru 決める « décider », il comporte une notion de verrouillage (comme celui des touches « Verr.Maj » et « Verr.Num » de nos claviers d’ordinateurs).
Etymologiquement parlant, le caractère chinois 決(jué) est un idéogramme ; sous sa forme primitive, il se décompose comme suit :
En chinois moderne, outre celui de « décider », il conserve les sens de « ouvrir un passage à l’eau », « brèche / faire une brèche dans une digue », voire « condamner à mort » : l’idée d’irréversibilité est là. Ude kime nage est une projection réalisée en portant le bras à un point de non-retour.
- KOSHI NAGE (腰投げ)
Projection du bas-dos (koshi 腰 = ensemble reins-hanches : voir section « anatomie »).
- JŪJI GARAMI (十字絡み)
Projection par empêtrement [des bras] (karami, substantif du verbe karamu 絡む, « lacer », « lier », « attacher ») en croix (jūji 十字, « le caractère dix », par analogie avec le kanji jū 十 « dix »).
- KOKYŪ NAGE (呼吸投げ)
Projection par [coordination des mouvements et de] la respiration (kokyū 呼吸 = respiration, mais kokyū ryoku 呼吸力 = « force générée par la coordination des mouvements et de la respiration »).
Il existe une multitude de variantes de kokyū nage : voir naname kokyū nage 斜め呼吸投げ, « kokyū nage en diagonale (naname 斜め) », projection également connue comme sokumen irimi nage, projection par irimi latéral (sokumen 側面 « le côté »).
- AIKI OTOSHI (合気落とし)
Renversement « aiki ». Traduction délicate. Sans doute à la fois renversement par « harmonisation des énergies », et par « l’énergie de concorde » (expressions rendant toutes deux aussi incomplètement la notion de aiki 合気).
- SUMI OTOSHI (隅落とし)
Renversement en coin (sumi 隅 « coin », « angle « , « recoin »).
- USHIRO KIRI OTOSHI (後ろ切り落とし)
Renversement par fauchage arrière (kiri 切り, substantif du verbe 切る, « couper, et ushiro 後ろ « arrière », provoquant une chute (otosu, 落とす).
De façon imagée, et tout à fait terre-à-terre, dans le japon d’aujourd’hui, « momo kiri otoshi » désigne le jambon qu’on commande au commerçant : idée de la chair tranchée qui tombe dans le papier sulfurisé.
Omote et ura
La quasi-totalité des techniques répertoriées de l’aïkidō se déclinent académiquement en une forme OMOTE (prononcer « omoté ») et une forme URA (prononcer « oulrah »).
Ueshiba Moriheï, avait notamment pratiqué le Taï jutsu (Yawara) de l’école d’escrime Yagyū shingan ryū (柳生心眼流) lors de son séjour à Ōsaka, quand il servait dans l’armée ; son troisième fils, Ueshiba Kisshōmaru, grand codificateur de l’aïkidō moderne, avait quant à lui pratiqué le kendō et l’escrime du Kashima shintō ryū (鹿島新当流) ainsi que du Yagyu shinkage ryu (柳生新陰流), son père assistant d’ailleurs aux cours de cette école et s’en nourrissant.
Or on distingue en kenjutsu (剣術 « art de l’épée ») un côté du sabre « omote », correspondant à la face extérieure de l’arme, lorsqu’elle est portée au fourreau sur le flanc (face où figure la signature de l’armurier), et un côté « ura ». Moins ambiguës dans le mouvement que celles de gauche et droite, les notions omote-ura subsistent par exemple en kendō, où les armes, en position de garde « normale », se touchent côté omote.
En aïkidō, considérant le sabre virtuel (tegatana 手刀) figuré par les mains de uke, pratiquer omote waza consiste pour tori à entrer dans le mouvement sur l’avant de la jambe de garde de son partenaire. Faire ura waza, c’est au contraire entrer sur l’arrière de cette jambe de garde.
Au-delà de cette lecture spatiale et très pragmatique, le couple omote / ura est l’une de ces grandes dualités traversant la culture sino japonaise.
Étymologiquement, omote est le vêtement (衣) côté fourrure (毛) ; ura est le vêtement (衣) côté intérieur (里).
Par glissement sémantique, omote est naturellement venu à désigner la face publique de toute chose, action ou personne, répondant à ura, sa face privée.
Dans les relations humaines, omote est ce qui est donné à voir : c’est le dit, l’explicite, le tatemae (建前 « la façade construite »), ce qui s’accorde avec l’étiquette et assure la préservation du wa (和 « l’harmonie »). Ura par contre est l’implicite, le honne (本音 « la signification véritable »), ce qui relève de l’intime, qui doit être saisi sans pouvoir être énoncé.
Dans la vie quotidienne, il arrive qu’omote prenne la signification de « visage » (voir plus haut : men 面), et ura celui de cœur / esprit (kokoro 心). Omote est le phénomène, et ura l’esprit.
Aussi inséparables que les deux faces d’une même médaille, omote et ura renvoient au dialogue entre uchi (内 : l’intérieur, le groupe) et soto (外 : l’extérieur, les autres), l’un des plus robustes piliers du comportement social japonais.
Omote / ura ramènent encore tout pratiquant d’une langue sinographique vers la bipolarité in/yō (陰陽, yin et yang de la Chine), expression de la coexistence de deux principes en équilibre, tendant chacun à s’accroître tandis que l’autre décroît, et inversement : une économie à préserver en toute circonstance.
L’une des expressions spécifiquement japonaises de ce concept d’origine taoïste est le couple ka/mi (火 / 水, feu et eau, de tradition japonaise), fréquemment évoqué par Ueshiba Morïhei, nourri du mysticisme shintoïste de la secte Ōmoto.
Le concept est présent dans le salut traditionnel :
– main gauche (hidari : hi 火, dont une autre prononciation est « ka »)
– puis main droite (migi : mi 水 l’eau : mizu)
Le feu, symbole de verticalité ; l’eau, symbole d’horizontalité : la pratique est ancrée dans les trois dimensions.
Poussant un peu plus l’analogie, la dualité omote / ura invoquera celle de bun 文et bu武, la sphère des arts libéraux et celle des arts militaires, qui de toute antiquité constituèrent en Chine les fondations de la Civilisation.
Asai Tetsuhiko, fameux expert japonais en karate dō, relève les premières influences de ce concept sur la culture japonaise autour du 7e siècle, avec notamment le 42e empereur (Tennō), dénommé文武天皇 (Monmu), et en remarque surtout la trace dans le Heike Monogatari (Le Dit de Heike 平家物語, chronique du clan Taira), fin 13e-début 14e siècle.
Plus proche de nous, Miyamoto Musashi, figure emblématique du Japon du 17e siècle, fameux escrimeur, peintre, philosophe et écrivain, énonçait dans son Traité des cinq roues :
Avant toute chose, [et comme le suggère le terme bunbu-nidō 文武二道], la Voie juste pour le guerrier consiste à goûter aussi bien aux arts libéraux qu’à ceux de la guerre.
先、武士ハ、文武二道と云て、二の道を嗜む事、是道也
Miyamoto Musashi
Traité des cinq roues, Rouleau de la Terre
Cette idée a fait son chemin depuis Miyamoto jusqu’à nos jours dans la culture populaire japonaise, avec une altération notable cependant : de bunbu nidō 文武二道 (« deux voies », éventuellement distinctes), on a glissé vers bunbu ryōdō 文武両道 : « deux voies » perçues maintenant comme un tout, inséparables de la même façon que in / yō, ka / mi, ou ura / omote. Deux faces de la même médaille.
Dans le cadre éducatif, bunbu ryōdō 文武両道 fait loi aujourd’hui au Japon. Aux choses de la guerre s’est substituée l’activité physique et sportive, dans la même logique que celle selon laquelle les dō 道 ont succédé aux jutsu 術. C’est ainsi qu’aujourd’hui on y considère qu’une éducation accomplie repose sur un équilibre entre ces deux phases.
Dès lors, on ne s’étonne pas du nom de l’équipementier sportif japonais ASICS, créé dans les années d’après-guerre, acronyme de la formule « Anima Sana In Corpore Sano », formule interpelant notre culture latine, et démontrant combien l’esprit des arts martiaux japonais est susceptible de nous aider à grandir.