New York, New York !!!
La rapide présentation qui suit concerne l’Aïkikaï de New-York et s’inscrit dans le droit fil de celle de l’Aïkikaï de Tokyo. En effet, l’appellation même du Dojo « Aïkikaï » met en exergue – au moins « architecturalement » – l’importance de la filiation dans l’Aïkido et nous permettra à nouveau d’avoir un regard croisé décalé dans le temps.
Le contexte du voyage de Patrice Herpin et la préparation des visites au Dojo de New York City :
Je vais évoquer ici un voyage que j’ai récemment réalisé – au printemps 2019 – dans la ville certainement la plus cosmopolite des Etats-Unis, à savoir celle que l’on surnomme « The Big Apple » (la Grosse Pomme). Avant de me rendre dans ce lieu j’avais bien sûr pris des renseignements sur le site de ce « World famous club » pour préparer au mieux ma visite. Cette recherche avait été complétée par la lecture de l’entretien donné par le maître des lieux – Maître Yamada Yoshimitsu – qui avait été publié en 2018 dans le numéro deux de la revue Yashima.
Présentation rapide de Maître Yamada :
A 18 ans, en 1955, sur les conseils de son oncle Abé Tadashi alors 6e dan et lui-même ancien élève de Ueshiba Moriheï (et deuxième japonais à avoir introduit l’Aïkido en France), Yamada Yoshimitsu est devenu un Soto Deshi du fondateur au Hombu Dojo. Il se retrouve donc de facto contemporain de plusieurs autres maîtres historiques, notamment Sugano Seiichi et Tamura Nobuyoshi. Tous trois devinrent rapidement les meilleurs amis du monde et c’est cette fraternité d’armes qui peut expliquer les visites régulières que Maître Yamada ne cessa d’effectuer en France pendant les dizaines d’années qui se sont écoulées depuis lors. En contrepartie amicale, Maître Tamura participa fréquemment à de nombreux stages organisés par Maître Yamada, particulièrement ceux qui se tenaient chaque été en Nouvelle Angleterre.
En 1964, alors que de son côté, Tamura Sensei décidait de s’établir en Provence, Maître Yamada s’installait à New York. En toute logique, c’est dans cette ville emblématique des Etats-Unis que l’USAF (United States Aïkido Federation) s’est d’abord développée. Dès le début de son existence, le Dojo avait pris racines dans Manhattan, Chelsea, 142 West 18th Street (à sens unique), et il y existe donc depuis maintenant 56 ans. L’entrée du Dojo est assez discrète, les locaux se trouvant au premier étage d’un bâtiment ancien, partiellement au-dessus d’un des nombreux parkings de Manhattan.
Le choix du cours en fonction de l’horaire et de l’enseignant :
Le Dojo est ouvert les sept jours de la semaine avec six cours quotidiens en semaine et autour de quatre le week-end. Les amateurs pouvant donc y pratiquer hebdomadairement une trentaine d’heures ! Comme à Tokyo, les entraînements commencent matinalement à 6 h 45 pour se terminer le soir à 19 h 45. Comme au Hombu Dojo également, le site internet indique chaque semaine quel(le) enseignant(e) dirigera tel ou tel créneau d’une heure. Je savais donc que ce ne serait pas Maître Yamada qui allait assurer le premier entraînement auquel j’assisterais et qu’il me faudrait revenir dans ces lieux pour suivre son enseignement. Mais cette séance initiale m’a permis de faire mes premiers pas dans le Dojo et de m’imprégner de son atmosphère si particulière…
La présentation du Dojo :
Dès la rue le ton est donné ! En effet, nous sommes accueillis par une grande bannière flottante avec une illustration qui associe les buildings et l’acronyme du Dojo « NYA » pour « New-York Aïkikaï ».
En haut de l’escalier intérieur un peu raide qui monte au premier étage, il y a différentes affiches informatives que l’on ne peut pas manquer. Une fois gravie la volée de marches, la bonne surprise est alors de découvrir plusieurs canapés très confortables dans une ambiance bien différente de celle du Dojo de Tokyo où seule la position à genoux sur du parquet est autorisée pour les spectateurs. L’espace d’accueil avec sa permanence se trouve un peu en retrait pour que l’on puisse se présenter et s’inscrire… On vous donne alors un beau flyer (dépliant) avec les différents tarifs proposés. A cette occasion, vous apprenez qu’il vous en coûtera 25 dollars si vous voulez y passer la journée. C’est également là qu’il est possible d’acheter des souvenirs estampillés « NYA ».
Le Dojo présente plusieurs traits caractéristiques. Sa forme est particulière puisque la salle est tout en longueur avec seulement – dans la partie la plus étroite – 5m de largeur ! C’est donc peu, surtout qu’il faut anticiper les passages de l’enseignant et aussi savoir qu’il n’y pas de protections murales…
Sur l’un de ces murs, selon l’habitude japonaise, se trouve un ensemble de plaquettes en bois où sont inscrits les noms des différents gradés enseignant au Dojo, en l’occurrence, selon les informations relevées sur le site Internet des lieux, une douzaine de hauts-gradés au minimum 6ème Dan, la plaquette de Maître Sugano y ayant été respectueusement conservée à titre posthume.
On retrouve également le portrait de ce dernier sur les murs de la salle d’entrainement ainsi que ceux de différents maîtres dont Tohei Koichi, choix surprenant et courageux de Maître Yamada car Tohei Sensei a quitté l’Aïkikaï en 1974 d’une façon un peu chaotique…
Par contre, de mémoire, il n’y a pas de portrait de Abé Tadashi qui n’avait pas une réputation d’être quelqu’un de facile et dont on dit qu’il aurait d’ailleurs refusé un grade plus élevé car venant du Hombu Dojo après la mort du fondateur.
La dernière caractéristique du local est un système de ventilation – jamais vu ailleurs – avec des ventilateurs de tailles différentes accrochés au plafond (et même au-dessus du Kamiza) qui peuvent être coupés pendant les brèves explications de l’enseignant.
Un mur d’honneur très chargé :
Je dois avouer que je n’en ai probablement jamais vu aucun autre avec autant d’éléments différents. Dans mes souvenirs, il comporte :
– Un Kamiza dans une sorte de très belle alcôve composée d’objets liés à O Sensei comme son portrait et une statuette identique à celle présente au Hombu Dojo, un beau Kakemono portant l’inscription Aïkido, des fleurs, un miroir et des armes en bois. Enfin, il y a une magnifique pièce de bois sur le côté droit de l’alcôve.
– Sur les côtés du Kamiza se trouvent différents râteliers pour des Ken et des Jo, et chose beaucoup plus rare, pour 20 Tanto ! À une époque, – visible sur le site officiel – on pouvait aussi voir les portraits des Doshus Ueshiba Kisshomaru et Moriteru.
– Au-dessus du Kamiza est placée une belle calligraphie du fondateur et, sur les côtés, discrètement placés derrière des panneaux coulissants de façon un peu anachronique se trouvent à nouveau installés des ventilateurs !
Pour finir, voici une petite anecdote qui m’a marqué :
Elle n’est pas liée à Maître Yamada que j’ai eu le plaisir de pouvoir saluer brièvement avant et après son cours (nous avons même quitté le Dojo ensemble…). Je la dois à un ancien du Dojo qui m’a paru être un très bon pratiquant. Je crois bien que le fait d’être attentif à l’étiquette et de se présenter comme un ancien élève de Tamura Sensei a été un excellent Vademecum dans ces lieux. Donc, à la demande de la personne responsable de l’accueil, ce « Sempaï » me fit l’honneur de m’accompagner pour une visite du Dojo. Nous échangions autour des photos et des affiches présentes lorsque je reconnus 2 pratiquants qu’il ne connaissait pas mais étaient très facilement identifiables pour moi – en l’occurrence Messieurs Tiki Shewan et Toshiro Suga. Par contre, lorsque je lui avouai que je n’avais jamais rencontré Maître Chiba, mon guide s’empressa de le dire à l’homme de l’accueil. Ce dernier s’exclama avec un terrible accent yankee : « Hey guy! You are a lucky man! ».
Et voici les souvenirs de Jean-Marc Chamot…
En avant-propos, je voudrais rappeler que si la plupart des gens ont une idée à peu près claire de ce que la ville de New York représente et où elle est située, il en est peu qui savent que l’état de New York fut le 11e état (le 26 juillet 1788) à faire sécession après que les treize anciennes « colonies » de la couronne britannique eurent commencé à déclarer leur indépendance le 4 juillet 1776 (les 13 bandes horizontales du drapeau américain les symbolisent). La superficie de l’état est de 141 300 km2 (à titre de comparaison cela correspond presque à 40% de l’Allemagne actuelle). Il s’étend au nord jusqu’au Canada, au lac Ontario et inclut les chutes du Niagara et il compte actuellement un peu moins de 20 millions d’habitants. La capitale est Albany et non New York (City) !
Mais revenons-en à l’Aïkikaï de New York…
Mes souvenirs des lieux remontent à un peu plus loin dans le temps que ceux de Patrice -exactement à quarante ans – puisque j’y ai séjourné en 1980, lorsque j’ai passé tout l’été aux Etats-Unis. Je suis arrivé à New York (City) dès la fin du mois de juin chez un couple d’amis, franco-américains qui habitaient près de Morningside Park dans le nord-ouest de Manhattan à côté de l’université Columbia où enseignait mon ami Mark. Après une semaine passée à faire du tourisme dans la ville, j’ai pris mes Keikogi et Hakama et me suis présenté au 242 West 18th Street, l’adresse du Dojo dont Maître Yamada n’était alors que locataire (avant que la fondation du NYA ne l’achète en août 1994).
Une situation inattendue !
Lorsque j’y suis arrivé, j’ai été directement accueilli par Yamada Senseï qui tentait de résoudre un problème alors crucial. En fait, la personne qui se chargeait habituellement de la réception et du secrétariat avait dû s’absenter précipitamment pour des raisons familiales et, comme c’était l’été, Maître Yamada peinait à lui trouver un remplaçant. Je connaissais Yamada Senseï pour avoir été son interprète (ainsi que celui de Maître Sugano) depuis le tout début des stages de Lesneven, en Bretagne mais aussi lors de ses visites à Paris. Il était au courant de ma venue car il était prévu que je serve d’interprète à Maître Tamura, une semaine plus tard, lors du stage d’été qu’ils allaient co-animer avec les Maîtres Chiba Kazuo et Kurita Yukata dans le centre sportif de l’Université d’Amherst, dans le Massachusetts (ce que je raconterai peut-être à l’occasion :-).
Maître Yamada me demanda donc si j’accepterais de remplacer cette personne pendant toute la semaine qui allait commencer afin que le secrétariat continue d’être assuré. Tout en me demandant si j’allais être à la hauteur, j’acceptais bien volontiers cette responsabilité puisque, a priori, il allait simplement s’agir de répondre au téléphone, d’accueillir les pratiquants et d’être totalement disponible. En contrepartie, j’allais disposer d’un lit dans la petite pièce à côté de l’accueil du Dojo et pourrais utiliser les locaux et le réfrigérateur (ce qui n’était pas négligeable au vu de la température ambiante à New York en ce chaud mois d’été).
Je pensais que mes missions s’arrêteraient là lorsqu’il continua en me demandant également d’assurer le premier cours du matin la semaine durant ! Il précisa alors que ce serait très bénéfique pour ses élèves de suivre des cours comme ceux que dispensait Maître Tamura !!! Certes à l’époque je m’entrainais entre 15 et 25 heures par semaine mais je n’étais que deuxième dan et je ressentis subitement une sorte de poids sur les épaules à l’annonce de cette autre responsabilité qui allait m’incomber…
Maître Yamada supervisant un cours
Finalement la semaine fut exceptionnelle (au moins pour moi !), les pratiquants présents au cours du matin furent plus que bienveillants et suivirent mes cours comme si j’avais été l’ambassadeur de Maître Tamura qu’ils considéraient presque comme le Messie !
Lors des cours que j’assurais – et même si j’avais déjà croisé quelques pratiquants américains lors de stages en Europe – je constatais à quel point cette population pouvait être investie sportivement, influencée qu’elle était par la façon spécifique qu’ont la plupart des américains d’aborder les activités physiques. En Europe, si les entraînements étaient alors intenses, ils étaient toujours menés avec un angle d’approche extrêmement axé sur la notion de combat, sur la pugnacité. Cet aspect-là était présent bien sûr dans le Dojo de Maître Yamada mais il était empreint d’un aspect nettement plus sportif du type « c’est bon pour la santé » qui n’existait pas vraiment à l’époque sur le vieux continent…
Ce sentiment de sportivité se confirma lorsque, grâce à mon statut de « secrétaire », je pus suivre gratuitement tous les cours de la semaine, ce que j’appréciai bien sûr énormément, particulièrement lorsqu’il s’agissait de ceux assurés par Maître Yamada, bien entendu.
L’arrivée de Maître Tamura
Lorsque Maître Tamura arriva en fin de semaine, Yamada Senseï nous invita – avec une quinzaine de ses plus fidèles élèves – à passer la soirée dans le très grand loft qu’il habitait non loin de là. Il avait organisé un repas japonais gargantuesque, la longue table où nous étions installés croulant littéralement sous d’énormes plats. L’ambiance fraternelle (un peu [trop ?] arrosée de Saké) vit se succéder les conversations quasiment jusqu’à l’aube, chacun étant friand de détails sur l’Aïkido bien sûr mais aussi sur les vies et pays respectifs des convives. Ceci laissa peu de temps pour le repos avant le départ vers Amherst le lendemain après-midi, et, pendant le voyage que nous fîmes dans un van recouvert d’une épaisse moquette rose que Maître Yamada venait de racheter à l’un de ses élèves qui l’avait utilisé comme garçonnière, tout le monde somnola. Maître Tamura dormait également, assis en lotus à l’avant de ce confortable véhicule, absorbant ainsi le décalage horaire de son tout récent voyage transcontinental.
Pour revenir au Dojo de l’Aïkikaï de New York, celui-ci était à cette époque un peu moins grand que lorsque Patrice Herpin le visita. Au fil des années, le moindre espace « libre » fut récupéré et aménagé pour augmenter la surface du tatami au maximum car le succès du Dojo étant au rendez-vous, la fréquentation des lieux – qui était déjà importante lors de mon séjour – ne cessa d’augmenter.
En conclusion, je dirais que je ne saurais trop recommander au pratiquant de passage à New York de rendre visite à ce Dojo (de préférence pour une séance avec Maître Yamada bien sûr !) car l’ambiance y est extraordinaire et le travail tout à fait sérieux qui y est proposé n’empêche en rien la bienveillance légendaire de Yamada Senseï de se faire ressentir lors de la pratique.
Alors…Go West 🙂 !!!