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Mercredi 17 février 2021

Le cas du Général George Armstrong Custer au cinéma : désinformations historiques volontaires ou distorsions hollywoodiennes ?

Alors qu’il figure au premier rang du panthéon des héros américains, le Général George Armstrong Custer est relativement méconnu de ce côté-ci de l’Atlantique.

Autant adulé par les uns que détesté par les autres aux Etats-Unis, ce personnage emblématique de l’époque violente de l’Ouest américain est devenu mythique immédiatement après sa mort au champ d’honneur, le 26 juin 1876. A cause du mystère qui entoure ses derniers moments, bien longtemps avant ses premières apparitions sur la toile, Custer est également devenu un remarquable symbole de ce que le mot distorsion historique veut dire. L’histoire de sa vie plus grande que nature influença les metteurs en scène et la filmographie le concernant est pour le moins imposante : de 1909 à nos jours, plus d’une centaine de films et feuilletons l’ont évoqué. Une cinquantaine de documentaires se sont également penchés sur son cas. C’est que ce personnage haut en couleur est archétypal de ce que films et feuilletons peuvent apporter comme transformations au parcours d’un homme célèbre. Toutes les étapes de sa vie hors du commun ont été revues et chacun des soi-disant événements authentiques le concernant ont été récupérés et, bien sûr, modifiés. Alors que son histoire et sa vie ont été en réalité bien plus riches et plus complexes que ce à quoi les images hollywoodiennes l’ont souvent réduit, il a alternativement servi de héros exemplaire, de personnage ambigu ou de bouc émissaire…

De l’Histoire…

Une telle situation mérite que l’on s’attarde un peu plus précisément sur l’histoire de ce surprenant Général… Issu d’une famille de modestes agriculteurs, Custer intègre à dix-huit ans l’Académie Militaire de West Point où son caractère tranché s’affirme dans ses amitiés comme dans ses inimitiés. Ses résultats académiques sont plutôt « inégaux » et il finit bon dernier de la promotion de 1862. La guerre de Sécession vient de commencer et l’on a besoin d’officiers formés, aussi, malgré son rang de sortie, il est nommé sous-lieutenant et rejoint les rangs des armées du Nord. C’est sur le champ de bataille que l’enseignement qu’il a reçu à West Point porte finalement ses fruits car ses qualités de courage, d’initiative et d’audace sont immédiatement mises en valeur sur le théâtre des opérations. Au combat, il sait garder une tête froide de tacticien tout en montrant un vrai génie stratégique intuitif.

Ses actes de bravoure et d’intrépidité se multiplient et il monte très rapidement en grade. A peine un an après sa sortie de West Point, il est nommé général de brigade d’un groupe de volontaires du Michigan. Âgé de 23 ans, il est (et le restera jusqu’à aujourd’hui) le plus jeune promu de tous les généraux de l’histoire des États-Unis. Il devient vite populaire car ses succès militaires sont immortalisés dans ces nombreuses photographies et lithographies que les journaux reproduisent à l’envi. Ce Golden Cavalier ou Boy General of the Golden Lock est alors le héros de ses hommes qui parlent alors de Custer’s Luck, la « Chance de Custer ».

Il faut dire que le personnage est flamboyant : grand et mince, il porte beau, ses traits énergiques sont encadrés de cheveux longs, blonds et bouclés et ses yeux bleus ont un regard pénétrant (des années plus tard, les metteurs en scène veilleront à utiliser au mieux cette apparence). Il incarne rapidement le héros américain dont la nation a besoin en ces heures de conflit. Il devient l’enfant chéri du pays.

Une fois la guerre de Sécession achevée, il prend la tête d’un 7e régiment de Cavalerie qu’on dirait créé à ce moment-là pour devenir célèbre sous ses ordres. Du sud du pays, il part vers l’Ouest pour pacifier les Grandes Plaines hantées de tribus indiennes encore « sauvages », Kiowas, Sioux ou Cheyennes.

Deux de ses nombreux faits d’armes marquent définitivement une carrière toute en rebondissements. Le premier se déroule en 1868. Custer est alors envoyé en mission vers la rivière Washita (dans l’actuel Oklahoma) par son chef, le Général Philip Sheridan, un adepte de la guerre totale. À l’aube du 27 novembre, à la tête du 7e de cavalerie, il attaque le village Cheyenne du chef Black Kettle. Les Tuniques Bleues tirent alors non seulement sur des guerriers mais aussi sur des femmes, des enfants et des vieillards qui tentent de se défendre. Même si les choix militaires du Général sont approuvés par ses supérieurs – puisqu’il a obéi aux ordres – et par la majeure partie des américains de l’époque, une partie de la presse l’accuse cependant (déjà !) d’être un « massacreur d’Indiens ».

Huit ans plus tard, une seconde tragédie va sceller son destin et marquer à jamais la mémoire de la nation américaine. En mars 1876, trois corps d’armée séparés sont envoyés vers l’Ouest, dans ce qui est alors le Dakota, avec pour tâche de ramener vers les réserves des tribus dites « hostiles[1] ». Cette fois encore, Custer et le 7e de Cavalerie participent aux manœuvres. Le 24 juin, ses éclaireurs localisent un campement – principalement composé de Sioux et de Cheyennes – situé sur une boucle de la rivière Little Big Horn dans l’actuel Montana. Le lendemain, le Général divise son régiment pour organiser une manœuvre d’encerclement et, de peur que les tribus ne disparaissent dans la nature, lance l’attaque sans attendre le renfort des autres unités. Les guerriers sont nombreux, probablement deux mille – les estimations varient – et la colonne centrale du 7e de cavalerie qui n’est pas soutenue par le reste du régiment est complètement submergée par ses adversaires, Custer et 264 de ses hommes périssent dans l’aventure.

Aussitôt que la nouvelle de cette défaite parvient au reste du pays – emblématiquement le 4 juillet 1876, alors que la nation célèbre le premier centenaire de son indépendance – les passions se déchaînent. L’Amérique s’interroge sur ces événements lointains et se demande comment après avoir livré des dizaines de combats sans coup férir, Custer a pu être « massacré » par une « poignée » de peaux-rouges. Presque immédiatement, son dernier combat devient le symbole de la lutte homérique de la civilisation contre le monde encore sauvage de l’Ouest. La presse magnifie la scène et le public – ignorant tout des derniers instants du Général puisque aucun témoin blanc n’a survécu pour témoigner – transforme en personnage de légende celui qui n’avait été jusque-là « que » l’un des héros de la guerre de Sécession.

Custer’s Last Stand, cet ultime combat héroïque donne alors matière à des centaines de poèmes, d’écrits historiques, de romans, tous illustrés d’un foisonnement de photographies et de lithographies. Des milliers de Dime Novels – ces Romans à Quat’ Sous dont on est alors friand – répandent dans tout le pays des récits d’aventures « custériennes » qui sont, pour la plupart, totalement imaginaires. C’est ainsi que George Armstrong Custer en vient à être l’objet de plus de livres et d’articles qu’aucun autre américain à l’exception d’Abraham Lincoln[2]. Sa dernière bataille sur la Little Big Horn[3] devient quant à elle l’objet d’études si abondantes que seules celles concernant la bataille de Gettysburg[4] les surpassent en nombre. Au-delà de ces diverses formes littéraires, le Général et son ultime engagement deviennent le sujet de milliers de peintures, de croquis et de dessins dont la fidélité historique est souvent très relative.

L’unanimité est pourtant loin de se faire autour du personnage et éclatent alors au grand jour certaines controverses plus ou moins « étouffées » jusque-là. Des décisions à l’emporte-pièce, un comportement souvent autoritaire n’avaient pas manqué de provoquer contre Custer l’antipathie de certains de ses pairs et de ses soldats. Plusieurs politiciens n’avaient pas non plus toujours apprécié ses prises de position[5]. On imagine sans peine ce qu’une carrière aussi fulgurante que celle de Custer a pu provoquer comme jalousies. Puisque ses exploits pendant la guerre de Sécession n’avaient pu faire l’objet que de critiques insignifiantes, ses ennemis n’ont eu de cesse de s’en prendre au reste de sa carrière. En clair, l’homme et son destin ayant atteint une dimension quasi mythologique, c’est la seconde partie de sa carrière – plus susceptible d’être critiquée – que certains détracteurs tentent alors de contester[6].

À la lecture des lignes qui précèdent, on comprend aisément que bien avant l’apparition du 7e Art, la (re)présentation du Général Custer était déjà une pomme de discorde entre ses partisans et ses contempteurs. Au vu du poids de l’histoire, il convient donc de s’interroger sur la marge de manœuvre dont ont pu disposer les cinéastes qui ont tenté de mettre Custer en scène depuis le début du vingtième siècle. Sur quelle « image historique intègre » (si tant est qu’une telle chose existe !) ces productions ont-elles pu se fonder ?

Et du cinéma…

Alors que le Général George Armstrong Custer (1839-1876) a fait aux Etats-Unis l’objet d’un véritable culte dès que la nouvelle de sa mort s’est répandue, il est longtemps demeuré un quasi-inconnu en France et plus largement en Europe. Il a donc fallu attendre que le cinéma hollywoodien lui donne les traits d’Errol Flynn en 1942 dans They died With Their Boots On[7] pour que s’agrandisse enfin le petit cercle d’initiés européens le connaissant.

La Charge Fantastique (Raoul Walsh)

Pour confirmer cette première empreinte visuelle sur le vieux continent, il faudra encore une trentaine d’années supplémentaires pour qu’une autre œuvre cinématographique célèbre – Little Big Man[8] – en rappelle le souvenir en 1970. Ces deux références incontournables sont d’excellents exemples de ce que Hollywood peut faire subir à un personnage historique – en bien comme en mal – et les portraits du Général Custer qui y sont proposés sont tous les deux historiquement erronés dans des modes cependant diamétralement opposés.

Dans le premier film, Custer est d’abord un tout jeune homme puisque l’histoire commence au début de la Guerre de Sécession. A la demande des frères Warner, Raoul Walsh lui donne alors le rôle d’un « jeune coq » flamboyant et impétueux mais sympathique, en butte aux réticences bien compréhensibles de son futur beau-père… Puis le rôle gagne en maturité et Custer devient progressivement véritablement héroïque, puisqu’il doit servir d’exemple à la nation américaine alors en guerre. Sa bravoure et sa mort au champ d’honneur sont emphatiquement annoncées par les paroles qu’il prononce avant le combat : « Lorsqu’il est l’heure de partir, seule la gloire vous accompagne! »[9] La vérité historique de l’ensemble de l’aventure n’est en rien la préoccupation des studios et, une fois n’est pas coutume, la chose est clairement annoncée : « C’est un conte de fée sans la moindre volonté d’adhérer aux faits historiques. »[10] a écrit Robert Fellows, producteur associé du film.

A contrario, dans la seconde œuvre, Custer subit un debunking[11] en règle. Arthur Penn y met en image la geste d’un Général brutal, un triste fou paranoïaque qui va vers sa mort de façon volontairement aveugle. Le rôle du héros est finalement volé à Custer par Jack Crabb alias Little Big Man, personnage qui n’est pourtant guère glorieux. C’est que le film vise, au fond, à dresser un triste tableau de l’histoire de l’Ouest et de sa « conquête ». Les spectateurs sont donc alors confrontés à un tout autre message que celui transmis en 1942. La raison en est simple, cette fois, c’est la guerre du Vietnam qui bat son plein et le film s’adresse à une population américaine qui commence à sérieusement douter de son bon droit dans cette guerre qu’elle mène au loin.

Little Big Man (Arthur Penn)

La remise en question des valeurs américaines traditionnelles ayant pour origine le peu de légitimité de cette guerre perçue comme injuste est ainsi explicitement signalée et A. Penn critique clairement la politique (néo)colonialiste des Etats-Unis. Il demandera d’ailleurs volontairement à une actrice asiatique de tenir le rôle de l’épouse du héros du film, alors que celui-ci aurait dû être tenu par une Amérindienne. Cette dernière se fait donc assassiner par les hommes de Custer, acte à compter au nombre des messages symboliques énoncés par Penn dans son œuvre. Celle-ci démontre cinématographiquement le statut auquel Custer a été peu à peu réduit. Celui qui a longtemps été représenté comme le fier chevalier blanc faisant face à la sauvagerie d’un monde barbare est maintenant obligé d’incarner un destructeur injuste, s’arrogeant illégalement des droits sur des mondes différents. Le film démontre une fois de plus que ce n’est donc jamais véritablement l’Histoire de 1870 qui est, en réalité, présentée à l’écran mais bien celle du moment du tournage, en l’occurrence l’histoire de 1970.

Cependant, pour comprendre comment le cinéma américain en est arrivé là, il semble utile de dresser un rapide tableau de l’épopée des films Hollywoodiens Custériens.

Des multiples avatars du Général qui ont régulièrement été proposés par le cinéma, le premier à apparaître à l’écran en 1909 est donné à voir dans On the Little Big Horn[12]. Custer y est alors le représentant de la civilisation blanche affrontant la sauvagerie de l’Ouest. En cela il répond aux attentes du public de l’époque qui – dans son immense majorité – voit le Général comme un héros disparu alors qu’il affrontait l’adversité.

Pendant les trente huit années qui vont suivre, Custer est représenté cinématographiquement dans trente et un films et feuilletons. Les metteurs en scène l’utiliseront alors soit comme personnage principal soit dans des rôles secondaires. Dans la plupart des cas la représentation est hagiographique. Fondés sur les aventures réelles ou fictives de Custer héritées des Dime Novels, et usant d’une photographie s’appuyant sur les nombreuses peintures disponibles (pourtant toutes exécutées postérieurement à la bataille de la Little Big Horn), les scénarios sont loin de briller par leur d’originalité même s’ils peuvent, à l’occasion, présenter quelques variations intéressantes. Au fond, ils perpétuent et enjolivent la légende qui s’est formée, tout en continuant à faire peu de cas de ce que l’on pourrait appeler l’Histoire. L’exemple de They died With Their Boots On évoqué ci-dessus est caractéristique de telles mises en valeur. Le propos du cinéma est avant tout de distraire les foules[13] mais certainement pas de produire des documentaires historiquement véridiques …

Quelques années plus tard, en 1948, John Ford tourne Fort Apache qui est alors le premier film anti-Custer. Ford fait tenir le rôle du colonel Owen Thursday (au comportement totalement « Custerien ») à un jeune acteur talentueux du nom d’Henry Fonda. En dépit de la modification du nom du héros, personne ne se trompe sur le message : la critique cinématographique du Général est dorénavant possible et les productions des années cinquante emboîtent le pas à Fort Apache, souvent sans grand talent. Comme (presque) toujours, c’est plutôt pour des raisons commerciales que le vent tourne et non pour tenter de se rapprocher des événements historiques de 1876. Ce qui évolue également dans les années cinquante, ce sont les scénarios (et pas seulement dans les films concernant Custer !) qui modifient les représentations des Indiens, leur conférant plus de personnalité. Un film comme Winchester 73 (Anthony Mann, 1950) – dans lequel Custer est évoqué – en est un bon exemple.

Cette tendance va s’amplifier jusqu’à aboutir à des œuvres comme Little Big Man et prendre alors ouvertement le parti des Indiens tout en transformant Custer en un maniaque meurtrier. Cette tendance perdurera jusque dans les années quatre-vingt-dix avant de voir, étonnamment, réapparaître des films valorisant le vieux héros un temps déboulonné de son piédestal.

Au total, dans les soixante-dix-neuf films cinématographiques et télévisuels[14] qui ont pris le Général en compte, ce qui ressort c’est le fait que les éléments emblématiques sont toujours présents conjointement avec ceux qui sont « simplement » informatifs. Il en va généralement ainsi dans le « cinéma historique Hollywoodien » et les « Biopics » custériennes éclairent régulièrement cette conjonction. D’une manière toujours révélatrice de l’évolution des mentalités, ces films dévoilent, selon les cas, l’ampleur ou la courte marge entre histoire et réécriture cinématographique. Alors, qu’en est-il de la vérité historique ? Et bien une étude approfondie permet de s’apercevoir qu’en ce qui concerne les scénarios, ce sont les détails, la forme, plus que le fond qui sont (ou semblent ?) historiques, le reste de ce qui constitue la trame des films apporte en fait à l’analyste avant tout des informations sur l’époque de chacun des tournages et non sur la période qu’ils sont censés représenter.

Un dernier film plus récent mérite le détour. Il s’agit du 78e film ayant fait intervenir Custer en « filigrane », The Last Samuraï[15]. Sorti fin 2003, l’œuvre a bénéficie d’un casting attrayant, puisque deux acteurs en vue à Hollywood y prennent part, Tom Cruise, alias le capitaine Nathan Algren, faisant face à Ken Watanabe dans le rôle de Moritsugru Katsumoto. Suite aux découvertes archéologiques récentes sur le site de la Little Big Horn, le spectateur pourrait s’attendre à une moindre modification (falsification ?) des événements historiques… Il n’en est rien !

Tout commence en juin 1876, le héros, Tom Cruise / Capitaine Algren, est un ancien officier de Custer qui est devenu alcoolique à cause du sentiment de culpabilité qu’il ressent d’avoir participé au génocide des Indiens d’Amérique sous les ordres du Général. D’entrée le spectateur sait qu’il va être pris comme témoin à charge des méfaits de Custer et non pour apprécier ses exploits. La scène est – bien sûr ! – historiquement impossible car elle se déroule seulement quelques jours après que le Last Stand de Custer ait eu lieu (la première information concernant la mort de Custer n’a été diffusée que le 6 juillet par le Bismark Tribune et n’avait donc pas encore atteint Chicago). Comme Algren part au Japon et se trouve déjà en mer le 12 juillet ceci confirme le peu de cas que le scénario fait des dates. La chronologie est donc encore une fois un à-peu-près, le nombre de soldats morts avec Custer est aussi une approximation, l’Histoire reste donc bien malmenée…

Algren part donc vers l’Empire du Soleil Levant pour former l’armée moderne dont le pays est en train de se doter. Peu après son arrivée, lors d’une bataille il est fait prisonnier par les samouraïs qui défendent leur mode de vie traditionnel et qu’il est censé combattre. Leur chef lui laisse la vie sauve car il veut apprendre à mieux connaître ses ennemis. A cette occasion, il cherche à connaître l’identité et le passé de son prisonnier.

Ken Watanabe & Tom Cruise

Le capitaine Algren présente Custer avec le grade de lieutenant-colonel et parle de lui en des termes peu élogieux alors que Katsumoto trouve la geste du chef du 7e Régiment de Cavalerie tout à fait honorable et dit que si sa mort a été causée par des ennemis supérieurs en nombre, cela a été une très belle mort. Les aventures des samouraïs s’achèvent par un désastre car, en dépit des tous leurs efforts, ils sont battus, ne pouvant faire face efficacement aux armes modernes utilisées par les troupes régulières.

En réalité toute l’histoire est fondée sur les aventures d’un autre soldat… celles du capitaine français Jules Brunet (1838-1911) – diplômé de l’École Polytechnique et spécialisé en artillerie – qui a fait partie de la première mission militaire envoyée au Japon pour moderniser les armées du Shogunat. Arrivé à Yokohama au début de 1867, il avait démissionné lorsque les armées impériales l’avait emporté et était parti au nord du Japon dans le but de participer à l’établissement de la république d’Ezo. L’affrontement final auquel il avait pris part avait eu lieu à Hakodate (Hokkaido) en juin 1869, donc plus de sept ans avant les aventures imaginaires de Nathan Algren.

En fait, le personnage de Custer avait été suffisamment complexe pour que la perception du public ne soit pas univoque et que la restitution cinématographique soit en conséquence elle aussi régulièrement ambiguë. Ce que l’on peut cependant avancer c’est que, d’abord tranchées (c’est à dire pro-Custer), les prises de positions s’étaient vues progressivement nuancées. Les différents vecteurs qui avaient véhiculé, amplifié, transformé la légende du personnage avaient été immédiatement frappés du sceau de la désinformation, les aventures du Général ayant déjà fait l’objet de multiples controverses bien avant l’avènement du cinéma. En fait, les films n’ont fait qu’entériner les distorsions historiques antérieures bien plus qu’ils ne les ont créées.

Custer a très probablement été le tout premier personnage médiatique de l’histoire américaine. A ce titre sa représentation est particulièrement intéressante à analyser car elle porte en germe les éléments qui seront en leur temps repris par la plupart des représentations cinématographique Hollywoodiennes. Ces décalages ne concerneront pas uniquement le Général mais finalement la plupart des personnages historiques, les distorsions seront systématiquement de rigueur, il s’agira avant tout de fournir un spectacle. L’Histoire est ainsi un prétexte, une sorte de pseudo-référence théorique apparemment validée par le détail mais infirmée en réalité par le fond de chaque scénario… Ce qui sera visé dans chaque film « historique » ce sera bien de toucher le spectateur en lui parlant de l’époque dans laquelle il vit mais revêtue, voire déguisée, des habits du passé. Il ne s’agit donc pas de dire l’Histoire mais bien de proposer « une histoire »… A l’évidence, la vérité historique – si tant est qu’une telle chose existe – n’est généralement pas la préoccupation des auteurs. Il ne s’agit donc pas vraiment de savoir s’il faut ou non dire la vérité sur l’homme qu’a été Custer mais bien plutôt de savoir ce que le metteur en scène veut lui faire dire…

Brève Bibliographie

  • BERNARDI, Daniel. The Birth of Whiteness ; Race and the Emergence of U.S. Cinema

Rutgers University Press, New Brunswick, New Jersey, 1996, 378 p.

  • CARNES, Mark C., dir., Past Imperfect, History According to the Movies

A Society of American Historians Book, An Owl Book, New York, 1996, 320 p.

  • KAEL, Pauline. Deeper into movies

Atlantic Press Book, Little, Brown and Company, Boston, Toronto, 1973, 458 p.

  • LANGELLIER, John Philip. Custer, The Man, the Myth, the Movies

Stackpole Books, Mechanicsburg, Pennsylvania, 2000, 146 p.

  • SLOTKIN, Richard. Gunfighter Nation: The Myth of the Frontier in Twentieth Century America

New York, Macmillan, 1992, 850 p.

  • UTLEY, Robert M. Custer and the Great Controversy; The Origin and Development of a Legend

Westernlore Press 1962, nouvelle éd. University of Nebraska Press, Bison Books,

Lincoln, London, 1998, 172 p.

  • WERT, Jeffry D. Custer, The Controversial Life of George Armstrong Custer

Touchstone Simon and Schuster, New York, 1997, 462 p.

 

 

[1] C’est-à-dire non ralliés aux forts ou aux « réserves » des blancs.

[2] Comme Jeffry D. Wert l’avance dans Custer, The controversial Life of George Armstrong Custer, Touchstone, Simon & Schuster, 1997.

[3] Voir William A. GRAHAM, The Custer Myth, Stackpole Books, 2000, pp. 382-405.

[4] Les 264 morts de la Little Big Horn sont à mettre en parallèle avec les 6000 morts et les 27 000 blessés de Gettysburg.

[5] Custer avait attiré sur lui les foudres du Président Grant en accusant de malversations son frère Orvil et son ministre de la guerre, William W. Belknap.

[6] C’est toujours cette deuxième partie qui est sujette à caution de nos jours.

[7] La Charge Fantastique, de Raoul Walsh.

[8] Little Big Man, les Extravagantes Aventures d’un visage pâle, dirigé par Arthur Penn.

[9] « You can take Glory with you when it is your time to go! »

[10] « It is a fairy tale with no attempt at adherence to historical facts. »

[11] Un « déboulonnage » de son piédestal.

[12] Aussi connu sous le titre Custer’s Last Stand, réalisé par Frank Boggs.

[13] Sans nier la volonté éducative d’un William S. Hart dans le treizième film à présenter Custer en 1923 : Wild Bill Hickok (La dernière chevauchée).

[14] Et la situation est quasi identique pour la quinzaine de feuilletons qui ont traité du même sujet.

[15] Le Dernier samouraï, mis en scène par Edward Zwick.

Brève biographie personnelle

Jean-Marc CHAMOT est professeur agrégé d’anglais et Maître de Conférences (Université Paris-X-Nanterre). Il est l’auteur d’une thèse sur la représentation du Général Custer dans le cinéma et la télévision des Etats-Unis. Enseignant la civilisation américaine, il a participé aux travaux du Centre de Recherche en Etudes Anglophones dans les domaines du Cinéma Classique Hollywoodien et de la Politique et Société Américaine, œuvrant sur les cinémas Américain et Japonais.